lundi 21 avril 2008

la folie, Miramont


Les terres à Mascara s’étendent jusqu’au liseré de neige, ou peut-être de roche, qui borde les sommets, mais je ne suis jamais allé au-delà de la draille qui les zèbre à mi-pente et s’arrête en un lieu que j’ai nommé La Motte et qui est marqué d’une pierre noire, redressée en saillie. Quiconque s’aventure là doit renoncer aux feux qui brûlent dans la vallée, à tourner son regard vers ce qu’il a été, et personne n’a revu le marcheur qui montait, appuyé sur un pieu dont il avait durci la pointe la nuit de son départ. J’ai épié ses gestes du haut de ma tour de guet et je n’ai pas aimé le calme de son front, ni l’adresse de ses mains, ni l’éclat de ses yeux.
Les terres sont à moi, du moins c’est ce qu’on dit car je n’ai jamais ouvert le coffre aux sceaux de bronze. Il se peut bien, d’ailleurs, qu’il soit livré aux rats depuis que les os de Máximo, l’archiviste de mon père, pourrissent dans une fosse, juste au pied de la tour.
Les terres sont habitées. Quelques maisons s’écrasent au plus près des cailloux qui constellent le sol. Il n’y a pas de coqs, les rôdeurs les égorgent et certains les éventrent. Je ne sais par quelle rage, ils découpent les crêtes et les clouent sur les portes. C’est pourquoi Mascara est un lieu de silence, les enfants ne crient pas et les mères chuchotent. Je préfère ce silence et les chants m’indisposent.
extrait de Miramont d'Oxymore, récit, Muriel Daumal.
acrylique et fusain sur papier, 15x15.

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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