mercredi 30 avril 2008

vedute






Les fenêtres sont vides. Elles restent béantes, sans qu'il soit possible à leur cadre tout théorique de définir le seuil fragile entre un dedans et un dehors, un au-delà et un en-deçà qui ne seraient pas seulement ceux du sujet.
Seraient-elles une frontière qui dirait la matérialité ou l'existence des choses et situerait le regard du côté du réel, là précisément où s'esquisse un objet ? Et si, tout au contraire, elles ne renvoyaient qu'au vide de celui qui attend ? acrylique sur papier, 20x20
contre-jour dans la gare de Manarola, photo numérique.

lundi 28 avril 2008

reconstitution du vignoble français

La série « Reconstitution du vignoble français » naît le jour où, retrouvant de vieux titres boursiers achetés par mes bisaïeux après les ravages causés par le phylloxéra à la fin du XIXème siècle, je lis avec intérêt le gros ouvrage de Roger Dion "Histoire de la vigne et du vin en France" (Flammarion 1959). Ma démarche se double alors d’une réflexion sur l’idée de ruine mais aussi de fermentation et de pourriture noble.
C’est en raclant, collant, arrachant, appliquant des glacis ou déchirant en lambeaux des pastels originaux qui sont recomposés après avoir été délavés dans des bains d'eau et de colle, que je restitue des strates de mémoire.
Une mémoire qui se veut critique en tenant à distance l’estampille dérisoire de la banque et du capital, ces petits coupons de papier, titres au porteur qui ne rapportèrent rien et qui allaient finir noyés au fond d’une cave inondée.


acrylique, pastel, pigments et colles, collages de titres boursiers et de monotypes à l'huile, texte de Rabelais, sur carton. 50x50
cette série de 9 compositions a été exposée en 2006-2007.

dimanche 27 avril 2008


Strates bosselées de bidons écrasés, résidus de fritures feuilletés d’aluminium, coquilles méconnaissables de milliers de pots de yaourts, aux fruits, au miel, au chocolat, filaments de cellophane, méduses desséchées, échouées sur des rives de déchets, feutrages de cheveux emmêlés, cartonnages de pâtes, compactages de matières enrobées de plastiques verts, rosâtres, multicolores, croûtes fragiles incrustées d’esquilles et d’ossements, emballages, marc agglutiné en galettes sur les compressions de canettes et le nougat des barquettes veinées de filets de sang, cargneules criblées et érodées, et des perforations desquelles surgissent des lambeaux entortillés, gâteaux de déchets, lustrés et marbrés de jus brunâtres, pochettes individuelles, rondelles rouges de boissons toniques et digestives, parois gondolées de troubles bouteilles d’eau minérale, culots, capsules, tessons, pellicules glaireuses agglomérées et fermentées : les ventres vomissaient le trop-plein du confort.
extrait de La Chaîne. MD.

samedi 26 avril 2008

l'île aux lépreux


Les gens d’ici ne parlent pas, ils ont les gestes rares et le regard très pénétrant. Vêtue de rouge dans un pays de deuil, ce fut Maria qui me servit, sur la terrasse. Le miel avait saveur de sauge et coulait, transparent, sur le fromage maigre. J’étais heureux, au bout du monde, sûr d’être seul à savourer des heures qui passaient lentement et je restai longtemps à regarder la mer qui, peu à peu, virait.
Le soir, face au village, l’île se compliquait d’architectures nouvelles, comme de temples effondrés, nichés au flanc de la montagne. De loin, il semblait y régner un silence que la lumière filtrait, des cavernes s’y creusaient, de plus en plus profondes, puis elles disparaissaient et dans l’obscurité, sur les rochers, on n’entendait que le chuintement de la mer.
Au matin, l’île apparaissait autre, ouverte sans surprise à l’aplomb du soleil, relief brouté de pierres où la végétation rampait. Hérissée de hauts murs, elle était immobile et allongée sur l’eau, comme un grand monstre glabre, le temps l’avait décapitée et son crâne gisait, séparé par les vagues, un peu plus vers le large. Il était blanc, couvert de croûtes d’argile semblables à des ruines. C’était l’Ile aux Lépreux.
extrait de l'Ile aux Lépreux, nouvelle, MD.
Huile sur papier toile. 15x40


Chants dispersés, rouges, détail, série de trois fois quarante vignettes de 14x14, sur trois planches papier, collages, acrylique, écritures. Cliquer sur l'image pour voir les fragments en taille (presque) réelle.

Trois grandes planches (chants dispersés rouges, chants jaunes, chants bleus), destinées à être découpées et « dispersées » en offrande, lors du mariage de Camille et Guillaume.
Sur chaque planche, une fois le travail sec, un « chant » est inscrit à la plume avec la lenteur et l’humilité du copiste : Cantique des Cantiques, A travers un verger, de P. Jaccottet, Le Jardin du prophète, de K. Gibran.
Travail de méditation.
L’ensemble, dispersé et multiplié, polyphonique, trouvera alors son sens dans les liens qui nous unissent par Camille et Guillaume.

jeudi 24 avril 2008

lieux

Eprouver la réalité des lieux lorsque le lieu, celui où l'on s'inscrit, s'efface, disparaît. Est-ce que ce fut le lieu du langage qui me fit reconnaître alors, en les nommant, ces plissements géologiques sur la croûte crevée des gorges et des ravins ? Est-ce que ce fut seulement la certitude qu'il y avait encore, hors du lieu, "mon" lieu, de quoi dire mon appartenance à la terre, à un chaos hors du chaos de l'homme et de l'Histoire ?
encre, 20x29

mercredi 23 avril 2008

à Eliane...

Adieu, Eliane.
Accorde-moi cette pensée magique : il te semblait "venir de l'au-delà", aussi j'écoute cet adaggio de la sonate opus 106 de Beethoven que Pierre avait jouée à Erlangen.
Adieu.

mardi 22 avril 2008

graphes


Ses routes ont changé, reliant comme des couloirs les pôles d’activité, c’est ainsi qu’il faut dire, et c’est ainsi qu’elle dit.
Pourtant, le long des autoroutes, Ana ne lit qu’un seul parcours, rapidement tracé par un acrobate fou qu’elle imagine en veste et en chaussures noires, qui balbutie sur les panneaux : Je t’aime. Ainsi sous Aix-centre : Estelle, je t’aime, ainsi aux Quatre-Chemins : Selma, je t’aime. C’est cela qu’elle regarde, en dépit d’autres inscriptions, ces graphes colorés après Plan de Campagne, qu’elle ne déchiffre pas, qui crient aux chauffeurs sourds leurs harmoniques bleues, et puis plus loin, à mesure qu’elle approche de Marseille, ces brèves injonctions qui jalonnent le trajet, sur l’autoroute Nord : les Arabes dehors ! Ce brouhaha du monde, cette Babel d’impuissances, sa ponctuation et ses ratures, ses taches, ses ordures.
Sa ville à elle, pourtant, n’était pas faite de silences.
Il y avait des cœurs sur les murs des immeubles et les formes troisièmes pour exporter l’amour des autres : Léa aime Paul, Majnoun et Laïla, et des flèches barbées en plein milieu des cœurs, dérobant la parole par tous leurs hiéroglyphes. Des pratiques secrètes, des rites incantatoires pour inscrire sur les choses un infini désir. Il y avait, dès les premières lettres apprises à lécole, des équations inscrites à la craie : X+Y = amour. Des formules magiques, livrées au ruissellement et à l’obscénité. Ana toujours regarda faire, elle n’écrivit jamais, non qu’elle n’aimât personne, mais ses amours à elle étaient inavouables.

- J’ai mal à l’âme, disait-elle.


extrait de La Paix d'Izri, récit-poème, M.D.

lundi 21 avril 2008


Des femmes fuient dans les boyaux de roche, elles emportent avec elles des enfants.
De la plate-forme où l’eau affleure, elles sautent dans la barque et frôlent des parois où l’eau crépite à peine. Elles rament vers le large. Trois mouettes casquées défendent l’accès à l’archipel. Au loin, sur l’île la plus petite et la plus exposée au vent, une muraille se dresse. Il n’est plus l’heure de naviguer et pourtant la pale plonge dans le jus noir. Han. Han. Han !

Comment fais-tu, ma fille, ce même rêve que je faisais la nuit ?
Parce que tu m’as mordue, ma mère et que les chiens aboient.
Tais-toi, ma fille, cela ne se peut…
Mais si, ma mère... alors, dors maintenant, ma mère, tu peux dormir, maintenant.

On dit que la grand-mère, l'arrière, celle de l'avant d'avant, a couché dans son lit avec un long serpent. Et Adèle a ce rêve, comme un don, depuis l'avant d'avant.
Tout autour d’elle, les unes ont des bijoux, les autres des trésors, des terres et des maisons, elle, elle a juste ce rêve. Elle est sur un rocher et contemple la mer. Elle abrite ce rêve, un rêve d'avant l'avant, un rêve héréditaire, une tare, un don.
extrait d'Adèle les chemins, récit, M.Daumal
acrylique sur papier, 15x15

la folie, Miramont


Les terres à Mascara s’étendent jusqu’au liseré de neige, ou peut-être de roche, qui borde les sommets, mais je ne suis jamais allé au-delà de la draille qui les zèbre à mi-pente et s’arrête en un lieu que j’ai nommé La Motte et qui est marqué d’une pierre noire, redressée en saillie. Quiconque s’aventure là doit renoncer aux feux qui brûlent dans la vallée, à tourner son regard vers ce qu’il a été, et personne n’a revu le marcheur qui montait, appuyé sur un pieu dont il avait durci la pointe la nuit de son départ. J’ai épié ses gestes du haut de ma tour de guet et je n’ai pas aimé le calme de son front, ni l’adresse de ses mains, ni l’éclat de ses yeux.
Les terres sont à moi, du moins c’est ce qu’on dit car je n’ai jamais ouvert le coffre aux sceaux de bronze. Il se peut bien, d’ailleurs, qu’il soit livré aux rats depuis que les os de Máximo, l’archiviste de mon père, pourrissent dans une fosse, juste au pied de la tour.
Les terres sont habitées. Quelques maisons s’écrasent au plus près des cailloux qui constellent le sol. Il n’y a pas de coqs, les rôdeurs les égorgent et certains les éventrent. Je ne sais par quelle rage, ils découpent les crêtes et les clouent sur les portes. C’est pourquoi Mascara est un lieu de silence, les enfants ne crient pas et les mères chuchotent. Je préfère ce silence et les chants m’indisposent.
extrait de Miramont d'Oxymore, récit, Muriel Daumal.
acrylique et fusain sur papier, 15x15.

dimanche 20 avril 2008




Par la pierraille on pouvait suivre les coulées de bête qui zigzaguaient sur la violence des versants jusqu’aux couverts d’épines et de petits kermès, et bien qu’on ne fût pas dans un pays d’eaux vives, on pouvait deviner les ruissellements cachés tout au fond des ravines, ce n’était ni le chuintement, ni le bruissement des feuilles car toute feuille semblait armée d’une coriace cuticule, c’était plutôt comme l’intuition de lieux moussus, légèrement suintants qui s’absorbaient dans la patience des saisons sèches, et qui, capillaires, entretenaient une vie plus tendre et presque souterraine.
Extrait de Adèles les chemins...
acrylique et fusain sur carton 30x30
acrylique sur papier recyclé, 40x30

jeudi 17 avril 2008

choéphores


Combien et combien seuls tous les agonisants dont personne ne vit le regard, personne n’effleura le front. Ils gisent sans viatique sur des faisceaux de sentes effacées par les vents, et les guetteurs depuis longtemps ont terminé leur ronde. Pour eux point d’huile et point de choéphores. Ils vont sur nos déserts, errants de nos lisières, ils portent au-devant d’eux leurs mains qu’aucun passeur ne saisira. Et nous, nous ne savons pas ficher la pierre qui bornera les lieux : « vous, ici, demeurez, pour la paix des vivants ».

(extrait de Adèle, les chemins..., récit. M.Daumal.)
acrylique et collages, 65x55

mercredi 16 avril 2008

monts analogues










" Cette nuit, je suis allé jusqu’à La Motte et mes guetteurs, comme toujours, se sont effacés pour me laisser passer. Je connais le frisson qui les frôle, leurs murmures m’accompagnent mais je ne cherche pas à distinguer ce qu’ils se disent dès que je quitte le chemin. Je les connais assez pour savoir qu’il ne viendra à l’esprit d’aucun d’eux de m’emboîter le pas et d’épier ce que je fais.
Un halo blanc noyait la lune bien que le temps fût sec. On y voyait assez car c’était l’heure où le reflet se pose sur l’arête des rocs et souligne leurs contours. Plus j’approchais, plus les sommets semblaient inaccessibles.
Je dois dire que c’est en me mesurant à la montagne que j’ai cessé de croire qu’elle peut être familière. Mille fois j’ai projeté d’escalader ses pentes, mille fois j’ai renoncé. Il me suffisait de voir, au bas des éboulis, les bêtes éclatées, pour retourner à la plate-forme que j’ai nommée La Motte et dont, soigneusement, j’entretiens la légende. " (extrait de Miramont d'Oxymore, récit. M.Daumal.)
(acrylique sur toile, 40x40, série de 50 études sur la montagne)

vendredi 11 avril 2008

offrandes lyriques


Tandis que les enfants crevaient la dalle, il y avait, dans la valise au fond de la cave, une liasse de bons au porteur et de titres boursiers... Il a fallu plusieurs naufrages pour qu'un beau jour, ils surnagent.
On m'a remis en héritage l'art de tirer la langue et l'amour du papier.
Il est revenu à ma mémoire ces vers de Tagore que j'aimais à treize ans :
" Lorsque je m'attardais au milieu de mes trésors amassés, je me sentais pareil au ver qui se nourrit dans l'ombre du fruit où il est né".
"Transforme" me disait sagement une amie, "transforme". Alors voici mes fruits, d'une douce amertume, voici, aux assoiffés, une plus claire source, et je foule à vos pieds vos trésors amassés. Acrylique et collage d'actions au porteur sur papier. 50x50

jeudi 10 avril 2008

empreintes de Galice

série de 9 pastels secs sur kraft, 45x30













Après le sensible, le geste. La craie écrasée sur le papier, parfois le crayon rageur. Elle ne veut pas naître l'image à jamais transformée par le regard porté des heures durant.
A l'origine : empreintes de rochers sur papier kraft, crayons de cire pour enfants, d'avant l'euro, à cent pesetas dans un "cadena cien" des rias altas pas encore ravagées par le naufrage du Prestige. Rochers : aléatoire d'une mécanique et d'une chimie des éléments. Empreintes et rochers : mémoires. Geste : jusqu'à oublier la culture et le dressage. Oubli. Et pourtant : concevrait-on une littérature sans mémoire et sans mots et une peinture sans signes? Notre mal-être : nous conformer à la consigne.








mercredi 9 avril 2008

arbres (3)



Cette photo de chênes au-dessus du Verdon, probablement floue, à la tombée du jour et à contre-jour n'est qu'une capture d'empreinte. L'empreinte que l'encre, le charbon ou le graphite ne m'ont pas permis de prendre. Elle est ce que je crois être "juste" et "seulement" une image, séduisante et pourtant sans valeur. Elle dit le rapport magique que j'entretiens non pas avec ce qu'elle reproduit (l'arbre) mais avec l'objet qui m'a permis la capture (l'appareil photo). Je prends très peu de photographies. Habituellement je me déplace avec un carnet de croquis et même si le dessin peut être très rapide, il me faut contempler longtemps l'arbre avant qu'il ne se représente en moi, le "voir" ne suffit pas.Lorsque je tiens un appareil, je ne sais pas techniquement ce que fais, il arrive même que je ne voie pas ce que l'appareil "voit" pour moi. On m'a bien expliqué quelques petites choses de base mais, en réalité, je sais que je cède à de multiples injonctions, et d'abord celle de la facilité. On m'a fourni un instrument magique dont j'ignore la complexité, magique parce qu'il suffit de cliquer. En croyant capturer l'image, il me semble avoir aliéné quelque chose qui faisait le plus profond de ma pensée. photographie numérique.

mardi 8 avril 2008

arbres (2)




graphite sur papier, 15x15, 30x30
A contre-jour je les observe, ou plutôt ils me hantent, ils sont comme la radiographie de ma mémoire.
Ce n'est pas leur tremblement mais leur trace qu'il me faut saisir, parfois charbon, reste d'incendie déjà délavé par les saisons et que je ramasse pour une ultime empreinte sur la page. Poussière de ce qui fut et dont la déflagration m'aveugle encore.






lundi 7 avril 2008

arbres




Ils sont mes monstres et mes gardiens, et s'ils prennent de la hauteur, c'est pour mieux regarder la terre. C'est donc par eux que s'ouvriront ces pages.
série de 40 encres de chine sur papier recyclé, 40x30.