vendredi 24 avril 2009

antipolis (2)

En 1969, donc, et surtout les après-midi d’hiver, les rues du Vieil Antibes semblaient dormir dans des murs délabrés.
Il y avait encore une herboristerie à l’angle de la place Nationale, si l’on voulait remonter par la rue Sade. Rue du Haut Castelet, après que s’y emmanche la rue des Revennes, la forge de Commodini soufflait, et un peu au-delà, le vieux Geloni sortait sa chaise en tripotant une cigarette pour suivre les jambes des filles de son regard que la chassie alourdissait. Sur le pas de sa porte, cela empestait le mazout et le vin aigre, Geloni, lui, sentait l’urine et la sueur, il marmonnait et mâchonnait on ne savait quels restes et des miettes tremblaient sur les poils durs de son menton.
Au bas du Cours Masséna, au milieu de la rampe qui rejoint par une porte voûtée la rue de l’Horloge et celle du Saint Esprit, vers trois heures, le soleil pouvait donner enfin sur la façade du marchand de couleurs.
Sans doute fûmes-nous, Josée et moi, parmi les dernières curieuses à mettre le pied dans cette boutique.
Inutile d’en chercher le souvenir, Antibes n’est plus qu’un lacis de ruelles qui suintent l’huile recuite et vomissent des pizzas. On ne devine même pas mon magasin de couleurs sous l "Irish Tavern » qui l’a remplacé.
Josée et moi, lorsque nous pénétrâmes chez le marchand de couleurs, rôdions depuis des jours sur les traces d’Audiberti.




mardi 14 avril 2009

antipolis (1)


En 1969, le vieil Antibes, comme nous appelions déjà cette partie de la ville qu’un morceau de rempart enserre sur le rocher, n’était guère qu’un village fatigué.
Il y avait peu encore, la Porte Marine ouvrait sur l’anse semée de pyramides grisâtres qui empêchaient à peine la mer, certains jours de gros temps, de venir s’écraser aux pieds de la chapelle Saint Roch. Cette anse, telle qu’elle m’apparut la première fois, le 9 septembre 1962, était plutôt lépreuse. La route, dite « du bord de mer » longeait le chemin de fer dont les talus étaient couverts de roseaux et de monceaux de détritus. L’anse se refermait sur les éperons du Fort Vauban, ensuite venait l’immense baie, et ses eaux, quelquefois écumeuses, se coloraient, vers La Fontonne, du sang des abattoirs.
Ne vous baignez pas là, disait ma tante. C’était impératif. Nous, les enfants, nous croyions que c’était à cause des tourbillons, parce qu’il y avait, «en face », une côte semblable, le long de laquelle était tracée une route dite « moutonnière », elle reliait Alger et Hussein Dey, et là, personne ne se baignait jamais. Vers La Fontonne, même si nous remontions au-delà de l’étroit tunnel qui permet aux piétons d’accéder à la mer, il arrivait que les flots dégorgent rouges sur nos culottes en coton.
Du sang s’écoulait entre les deux rives, et nous nous y baignions.
A la fin du mois d’octobre 62, nous quittâmes Antibes pour n'y revenir que sept ans plus tard.
De la route du bord de mer, seul le rivage m’intéressait, autant dire l’horizon, et ce vide où j’essayais d'inscrire les lignes de l’autre rive. Il me fallut encore quelques années pour me tourner, par-delà ces grèves désastreuses, vers les terres intérieures. Elles ne furent pas une évidence et je me suis souvent interrogée sur cette capacité que nous avons à effacer nos plaies.

dimanche 5 avril 2009

commandeurs

(victimes de commandeurs, pastel+aquarelle
sur papier Ingres, 15x15)



(grands commandeurs 100x80, acrylique sur papier)






Le monde se divise en commandeurs, petits ou grands, et en victimes de commandeurs.