mardi 22 janvier 2013

Libraire ambulant

Des caisses forment bibliothèque. Elles sont empilées autour d’une planche posée sur des tréteaux contre la camionnette. C’est jeudi. Le ciel est dégagé, les neiges commencent à fondre sous le soleil qui sent venir les souffles de mars. Il est là, le libraire ambulant de Ceillac. Mauvais cheveux, mauvaise peau qui desquame et qui lui donne le teint gris. Il n’a pas lu tous les livres, seulement les meilleurs, sans doute les plus rares. Il parlera de peinture et de poésie, d’hommes qui vivent non loin au milieu des troupeaux ou de croupes neigeuses, écrivent sur les pierres comme sur les nuages et publient quelquefois chez un éditeur si petit que son nom nous est inconnu.
 L'été, le libraire monte vers les alpages et reprend son habit de berger.

Muriel Daumal.

samedi 12 janvier 2013

mercredi 2 janvier 2013

le fil

 Au cours de tout ce temps, le fil aurait pu rompre, Ariane, que faisais-tu ?

*   *   *

Quinze, série de quinze petits formats qui partiront par la poste, collages, couture machine et main, soies teintes par fermentations végétales.


Les Quinze.
 Certes, tous n’avaient pas lu Tlön, Uqbar, Urbis tertius et tous ne se connaissaient pas. Les uns ne doutaient pas d’en être. Les autres se demandaient comment le hasard les avait désignés ou plutôt leur avait assigné cette place qui désormais serait la leur, ici, parmi les Quinze.
 Trois dés d’ivoire dans un gobelet de corne. Trois combinaisons : 3, 6 ,6 ou 4, 5, 6, ou encore 5, 5, 5. En soi déjà tout un prodige.
 Rien ne les avait rassemblés à ce jour sinon ce coup de dés.
 Cinq d’entre eux étaient la mémoire des pierres, neuf autres l’ombre de l’épée et celle du vent, les sentiers qui bifurquent, cet air de tango gisant sur les trottoirs de Buenos Aires et le quinzième le parfum de la trahison.
 Qu’importe ? Les voies ne sont-elles pas impénétrables ?
 Ils recevraient tous l’héritage : à chacun un coupon rescapé du naufrage, et le fragment d’une carte, peut-être un continent.
 Certes, tous n’étaient pas des arpenteurs de Babel l’incommensurable, mais voilà que le sort en faisait les dépositaires de coordonnées qui échapperaient aux satellites, aux grands calculateurs.
 C’était cela. Parmi tous les possibles, ceux-là n’étaient pas des calculateurs, voilà ce que le gobelet disait. Et leur tâche à présent serait de retrouver le continent.

 Muriel Daumal. 1er janvier 2013